Apprendre le français tout en développant ses compétences linguistiques dans sa langue maternelle n’est pas une tâche facile. En conséquence, les enfants allophones sont souvent confrontés à des difficultés d’apprentissage et de communication à la maternelle, ce qui peut avoir un impact négatif sur leur parcours scolaire. Pourtant, des solutions émergent.
Selon une étude menée par Sylvana Côté, les services d'éducation préscolaire contribuent grandement à combler l'écart entre les enfants dont la langue maternelle est le français et ceux pour qui le français est une deuxième, voire une troisième langue.
Le professeur Côté, de l'École de santé publique de l'Université de Montréal (ESPUM), est directeur de l'Observatoire de l'éducation et de la santé des enfants et chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine. L'étude, dont l'auteur principal est Ophélie A. Collet, a été récemment publiée dans la revue JAMA Pédiatrie.
« Être exposé à d'autres enfants et à une équipe d'éducateurs prépare mieux les enfants à l'école que de grandir dans une maison où ni le français ni l'anglais ne sont parlés. La période allant de un à cinq ans est absolument cruciale pour l'acquisition d'une langue. Il faut tout un village pour élever un enfant, et dans ce cas-ci, le village, c'est la préscolaire», résume le professeur Côté.
Sommaire
Apprendre à communiquer
Les conclusions sont claires. Les enfants allophones qui ont fréquenté une garderie (ou une prématernelle à l'âge de quatre ans, quoique dans une moindre mesure) présentent un meilleur développement cognitif, de meilleures compétences sociales et émotionnelles et de plus grandes capacités de communication. Ces avantages sont en partie attribués à un niveau suffisant de connaissances générales.
Au moment de l'enquête, 6,1 % des enfants de la maternelle au Québec provenaient de familles allophones, soit 4 360 enfants. Parmi eux, près de 14 % sont restés à la maison avant de commencer l'école, comparativement à seulement 6 % des enfants dont la langue maternelle était le français.
L'enquête s'appuyait sur l'Early Development Instrument, un outil canadien utilisé à l'échelle internationale pour mesurer l'état de préparation des enfants à la maternelle. Les enseignants, qui interagissent étroitement avec les enfants, ont rempli les questionnaires et ont fourni des informations indiquant si les enfants avaient fréquenté les services préscolaires.
« Il est crucial de s'assurer que les enfants dont la langue maternelle n'est pas le français ne soient pas défavorisés par la rareté des places dans les centres préscolaires », souligne le professeur Côté. Elle ajoute que même si le bilinguisme constitue un excellent exercice mental, les défis liés à l’apprentissage de plusieurs langues sont réels. Les enfants ont besoin de soutien pendant cette étape critique de leur développement.
Persévérance scolaire
Le meilleur indicateur de la persévérance scolaire est la maîtrise des compétences sociales, émotionnelles, cognitives et physiques dès la maternelle. Les enfants qui ne disposent pas de ces compétences ont moins de chances d’obtenir un diplôme d’études secondaires.
Parmi les 80 000 enfants interrogés, 11,2 % ont été exclus en raison d’informations insuffisantes, laissant 71 589 participants. Parmi eux, 48,8 % étaient des filles et 25,6 % apprenaient plus d'une langue. Cela comprend 13 981 enfants bilingues (anglais et français) et 4 360 enfants allophones, soit 6,1 % du total. Au sein de ce groupe, 26 % parlaient l'arabe, 18 % l'espagnol et 7,3 % des langues africaines. D'autres parlaient diverses langues, notamment le créole, le chinois, le portugais, le russe ou le persan.
Lutter contre les inégalités sociales
Des études antérieures ont montré que les services de garde de qualité profitent à tous les enfants, en particulier à ceux issus de milieux économiquement défavorisés. Introduits en 1997 dans la province de Québec (Canada), les Centres de la petite enfance (CPE) subventionnés du Québec ont été conçus pour réduire les inégalités sociales et faciliter la conciliation travail-vie personnelle. Même si ce dernier objectif a été atteint, il reste encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités. Seuls 30 % des enfants ont accès aux CPE et il existe 2,5 fois moins de centres dans les zones défavorisées.
Les chercheurs ont ajusté leurs résultats pour tenir compte de la situation financière des familles. « L'étude démontre l'impact des services d'éducation préscolaire au-delà du statut économique », explique le professeur Côté, soulignant que les meilleurs services se trouvent souvent dans les quartiers aisés.
« Cette étude est un appel fort à améliorer la qualité des services de garde. Il s'agit d'une mesure préventive pour assurer une meilleure intégration des enfants », conclut Côté. Il s'agit de la première étude qui examine spécifiquement l'impact des services préscolaires sur la préparation des enfants allophones à entrer à la maternelle.
Le professeur Côté dirige également le Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale de l'enfant. Elle prévoit revoir les enfants lorsqu'ils atteindront la cinquième année pour déterminer si les avantages de la garderie persistent.
À propos de cette étude
Outre Ophélie Collet, les enquêteurs de l'étude sont Thuy Mai Luu, pédiatre au CHU Sainte e-Justine ; Pascale M. Domond et Tianna Loose, Centre de recherche du CHU Sainte-Justine; Cédric Galéra, Université de Bordeaux ; Alejandro Vasquez-Echeverria, Université de la République d'Uruguay ; et Massimiliano Orri, Centre de recherche Douglas, Université McGill.