À partir de mars 2020, lorsque le COVID-19 s'est répandu dans toute l'Europe, les médecins généralistes ont dû s'appuyer sur les informations cliniques collectées dans les hôpitaux, les seules informations officielles disponibles, pour faire face à des infections potentielles.
« Cependant, nous avons également entendu, de la part de collègues ou même via les réseaux sociaux, d'autres informations non confirmées qui rapportaient des images cliniques très différentes rencontrées par les médecins généralistes », explique le Dr Hubert Maisonneuve, chargé de cours et chercheur dans le groupe de recherche dirigé par le professeur Dagmar Haller au l'unité de soins primaires de la Faculté de médecine de l'UNIGE et un médecin généraliste de la région lyonnaise.
«Comme il était extrêmement difficile de tester nos patients, nous avons décidé, avec quelques collègues et en collaboration avec deux laboratoires ambulatoires, de mettre en place des études qui nous permettraient de mieux comprendre la symptomatologie du COVID-19 sous ses formes bénignes, et potentiellement développer un outil d'évaluation clinique. «
À cette fin, les données cliniques de plus de 1500 patients ayant subi un test PCR ont été collectées entre le 24 mars et le 7 mai, dont 16% ont été testés positifs au COVID-19.
Symptômes significativement différents
Les chercheurs en médecine ont pu établir un tableau clinique pour ces patients qui était significativement différent de celui décrit en milieu hospitalier, mais cohérent avec les informations informelles recueillies précédemment.
«Très tôt, nous avons détecté que la perte de goût et d'odorat figurait parmi les symptômes les plus prédictifs de la maladie, contrairement à la fièvre ou à la toux, qui ne sont pas assez spécifiques», explique le Dr Benoît Tudrej, médecin généraliste et membre du Collège universitaire de médecine générale à l'Université Claude Bernard de Lyon, qui a participé à ces travaux.
En outre, des symptômes plus rares que l'on pensait être fortement liés au COVID-19, tels que l'essoufflement, se sont avérés très peu corrélés avec un test positif. La population ambulatoire étant différente de la population arrivant à l'hôpital, le tableau clinique est également différent.
Cependant, c'est une bonne indication que vous ne pouvez pas fonder toute une politique de santé publique de gestion d'une épidémie sur les seules données hospitalières, en particulier lorsqu'il y a un manque de tests pour dépister les personnes présentant des symptômes légers. «
Dr Benoît Tudrej, médecin généraliste et membre du Collège, Université de Médecine Générale, Université Claude Bernard
Un mauvais score de prédiction clinique
De nombreuses équipes de recherche ont cherché à développer un score de prédiction clinique, une technique couramment utilisée qui, en combinant divers signes et symptômes cliniques, permet une estimation statistique du risque d'un patient pour une maladie particulière. «Nous avons ainsi testé le modèle publié par une équipe anglo-américaine dans Nature Medicine à partir de données collectées via une application», explique le Dr Maisonneuve.
« Mais d'après nos données, ce score ne fonctionne pas. Pourquoi? Probablement à cause d'un biais de sélection dans l'étude anglo-américaine, où les personnes interrogées – majoritairement des jeunes femmes – n'avaient pas le même profil démographique que nos patients. »
Le score de prédiction clinique semble en effet mieux fonctionner pour un sous-groupe, les femmes entre 40 et 60 ans, dont les symptômes semblent plus prononcés, et donc plus faciles à détecter. « Cependant, cet aspect de notre travail doit être confirmé sur des échantillons plus importants ou avec des outils d'analyse plus puissants », ajoute le Dr Paul Sebo de l'UIGP, qui était en charge de cette partie de l'étude.
Les médecins généralistes sont essentiels à une politique de santé efficace
Ces études menées dans l'urgence d'une situation exceptionnelle mettent en évidence deux points importants: d'une part, le fait que les médecins généralistes restent souvent en marge des décisions politiques, au détriment d'une grande partie de la population pour qui leur médecin habituel reste le seul interlocuteur personne pour les questions de santé.
Dans une situation où le triage des patients est problématique, mais où la menace se propage rapidement, cela peut conduire à un retard de prise en charge ou à un manque de subtilité dans l'analyse de la situation.
«Cela est particulièrement vrai lorsque, comme c'est le cas actuellement, il s'agit d'identifier au plus vite de nouveaux clusters afin de contenir la propagation du virus», soulignent les auteurs.
Deuxièmement, la recherche en soins primaires est encore sous-développée. C'est grâce à de tels travaux, fondés sur des preuves solides, qu'il pourra prendre toute sa place dans la construction des connaissances académiques et médicales.
La source:
Référence du journal:
Tudrej, B., et al. (2020) Perte d'odeur et de goût autodéclarée chez les patients atteints du SRAS-CoV-2: données de soins primaires pour guider les futures stratégies de détection précoce. Journal de médecine interne générale. doi.org/10.1007/s11606-020-05933-9.