Des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Université Paris Cité, du CNRS et du Collège de France ont utilisé la paléogénomique pour retracer 10 000 ans d’évolution du système immunitaire humain. Ils ont analysé les génomes de plus de 2 800 individus ayant vécu en Europe au cours des dix derniers millénaires. Ils ont pu dater l’augmentation de la fréquence de la plupart des mutations avantageuses pour se défendre contre les agents pathogènes après l’âge du bronze, il y a 4 500 ans. Les scientifiques ont également observé que les mutations conférant un risque plus élevé de développer des troubles inflammatoires sont devenues plus fréquentes au cours des 10 000 dernières années. Ces résultats éclairants sur les effets de la sélection naturelle sur les gènes de l’immunité ont été publiés dans la revue Génomique cellulaire le 13 janvier 2023.
Dans les années 1950, le généticien JBS Haldane attribuait le maintien ou la persistance de la mutation responsable des anomalies des globules rouges communément observées en Afrique à la protection que ces anomalies assuraient contre le paludisme, une infection endémique qui fait des millions de morts. Cette théorie suggère que les agents pathogènes font partie des pressions sélectives les plus fortes auxquelles sont confrontés les humains. Plusieurs études de génétique des populations ont par la suite confirmé la théorie. Mais des questions majeures subsistaient, notamment concernant les époques spécifiques durant lesquelles les pressions sélectives exercées par les pathogènes sur les populations humaines étaient les plus fortes et leur impact sur le risque actuel de développer des maladies inflammatoires ou auto-immunes.
Pour répondre à ces questions, des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Université Paris Cité, du CNRS et du Collège de France, en collaboration avec l’Institut Imagine et l’Université Rockefeller (États-Unis), ont adopté une approche basée sur la paléogénomique. Cette discipline, qui étudie l’ADN des restes fossiles, a conduit à des découvertes majeures sur l’histoire et l’évolution de l’homme et des maladies humaines, comme l’illustre la décision d’attribuer le prix Nobel de physiologie ou médecine 2022 au paléogénéticien Svante Pääbo. Dans l’étude menée par l’Institut Pasteur, publiée le 13 janvier dans la revue Génomique cellulaireles scientifiques ont analysé la variabilité des génomes de plus de 2 800 individus ayant vécu en Europe au cours des dix derniers millénaires – une période couvrant le Néolithique, l’âge du bronze, l’âge du fer, le Moyen Âge et le présent.
En reconstituant l’évolution dans le temps de centaines de milliers de mutations génétiques, les scientifiques ont d’abord identifié des mutations dont la fréquence augmentait rapidement en Europe, indiquant qu’elles étaient avantageuses. Ces mutations qui ont évolué sous sélection naturelle « positive » sont principalement localisées dans 89 gènes enrichis en fonctions relatives à la réponse immunitaire innée, dont notamment la OEA gènes – qui sont responsables de l’activité antivirale – et le gène responsable du système de groupe sanguin ABO. Étonnamment, la plupart de ces événements de sélection positive, qui témoignent d’une adaptation génétique à l’environnement pathogène, ont commencé récemment, dès le début de l’âge du bronze, il y a environ 4 500 ans. Les scientifiques expliquent cette « accélération » de l’adaptation par la croissance de la population humaine durant cette période et/ou par de fortes pressions sélectives exercées par les pathogènes à l’âge du bronze, probablement liées à la propagation de maladies infectieuses graves comme la peste.
Dans le même temps, les scientifiques se sont également penchés sur la situation inverse, c’est-à-dire sur des mutations dont la fréquence a considérablement diminué au cours des dix derniers millénaires. Ces mutations font probablement l’objet d’une sélection « négative » car elles augmentent le risque de maladie. Ils ont noté qu’une fois de plus, ces événements de sélection ont principalement commencé à l’âge du bronze. Bon nombre de ces mutations désavantageuses étaient également localisées dans des gènes associés à la réponse immunitaire innée, tels que TYK2, LPB, TLR3 et IL23R, et ont été confirmés dans la recherche expérimentale comme ayant un effet délétère en termes de risque de maladie infectieuse. Les résultats soulignent l’intérêt d’adopter une approche évolutive dans la recherche sur la susceptibilité génétique aux maladies infectieuses.
Enfin, les scientifiques ont exploré la théorie selon laquelle la sélection exercée par les agents pathogènes dans le passé donnait un avantage aux allèles conférant une résistance aux maladies infectieuses, mais qu’à leur tour ces allèles ont augmenté le risque actuel de maladies auto-immunes ou inflammatoires. Ils ont étudié les quelques milliers de mutations connues pour augmenter la sensibilité d’une part à la tuberculose, à l’hépatite, au VIH ou au COVID-19, et d’autre part à la polyarthrite rhumatoïde, au lupus érythémateux disséminé ou aux maladies inflammatoires de l’intestin. En s’intéressant à l’évolution de ces mutations dans le temps, ils ont observé que celles associées à un risque accru de troubles inflammatoires – dont la maladie de Crohn – sont devenues plus fréquentes au cours des 10 000 dernières années, tandis que la fréquence de celles associées à un risque de développer des maladies infectieuses diminué. « Ces résultats suggèrent que le risque de troubles inflammatoires a augmenté chez les Européens depuis le néolithique en raison d’une sélection positive de mutations améliorant la résistance aux maladies infectieuses », explique Lluis Quintana-Murci, directeur de l’étude et responsable de l’unité de génétique évolutive humaine. (Institut Pasteur/CNRS Unité Génomique Évolutive, Modélisation et Santé/Université Paris Cité).
Les résultats de l’étude, qui a exploité l’énorme potentiel de la paléogénomique, montrent que la sélection naturelle a ciblé les gènes de l’immunité humaine au cours des dix derniers millénaires en Europe, en particulier depuis le début de l’âge du bronze, et a contribué aux disparités actuelles en termes de le risque de maladies infectieuses et inflammatoires.