Dans une étude récente publiée dans la revue Actes de l’Académie nationale des sciences, Les chercheurs ont conçu un modèle évolutif de théorie des jeux et une série de tests basés sur des agents pour élucider l’évolution et la persistance des commérages, sans doute le trait social humain le plus omniprésent. Leur étude évalue leur hypothèse selon laquelle la diffusion de la réputation et la dissuasion de l’égoïsme constituent les caractéristiques clés de la stabilité évolutive des commérages et teste ensuite les voies causales de ce cycle évolutif.
Leurs résultats suggèrent que la diffusion d’informations concernant un tiers absent peut inciter les individus à conditionner leur propre comportement en fonction de la réputation des autres. Associés à la tendance des individus à se comporter de manière coopérative envers les commérages pour améliorer leur propre réputation, les commérages ont été et continueront de rester répandus dans la société humaine dans un avenir prévisible.
Expliquer l’évolution des potins. Crédit d’image : Ollyy/Shutterstock
Sommaire
Les potins – le mystère le mieux partagé au monde ?
Les commérages sont la diffusion sociale d’informations (souvent non confirmées) concernant un tiers absent, généralement menée dans le cadre d’une conversation informelle ou sans contrainte. L’histoire révèle que les commérages constituent un trait fondamental de la civilisation humaine depuis l’Antiquité, dont les premières traces se trouvent en Mésopotamie et dans la Grèce antique. La science émet l’hypothèse que les commérages pourraient être un trait commun parmi les sociétés de chasseurs-cueilleurs, avec des équivalents détectés dans les groupes de primates supérieurs.
Les recherches estiment que les gens passent aujourd’hui environ une heure par jour à bavarder. Étonnamment, les études n’ont pas réussi à élucider les différences significatives entre les cohortes dans l’omniprésence des potins, tous les individus, quels que soient leur âge, leur sexe, leur position sociale et leur type de personnalité, s’adonnant à cette activité. Cependant, ce qui est tout aussi surprenant, c’est qu’au cours de milliers d’années d’existence des commérages, nous ne savons toujours pas d’où ils viennent, comment ils ont imprégné toutes les civilisations humaines connues et comment ils sont restés jusqu’à ce jour l’une des indulgences humaines les plus répandues.
« Les théories précédentes tentaient d’expliquer l’origine des commérages en termes de leur rôle dans la survie humaine, en particulier pour créer des liens entre de grands groupes et maintenir la coopération. Les commérages diffusent des informations sur la réputation des gens et, en tant que tels, permettent aux gens de choisir d’aider les autres à coopérer et d’éviter d’être exploités par des égoïstes – un mécanisme largement étudié comme réciprocité indirecte qui soutient la coopération. Au-delà de cela, la possibilité de faire l’objet de commérages suscite également des inquiétudes en matière de réputation. En conséquence, les gens ont tendance à se comporter de manière plus coopérative face à la menace des commérages.
Malgré leur valeur scientifique, ces hypothèses se concentrent sur les bienfaits des commérages sans parvenir à expliquer leur évolution. Les commérages consomment du temps et de l’énergie et impliquent le partage de connaissances, une ressource essentielle dans un environnement aux ressources limitées. Les commérages devraient donc être inadaptés et ne pas survenir dans les populations naturelles, les mutants étant rapidement éliminés par sélection naturelle. De plus, ces hypothèses mettent en évidence les bénéfices pour celui qui bavarde tout en sous-estimant le rôle et la stochasticité des bénéfices pour le récepteur – les informations tirées de l’événement de potins doivent d’abord guider et modifier le comportement du récepteur avant que des avantages matériels puissent être obtenus.
Le cycle évolutif des potins
La présente étude propose « le cycle évolutif des commérages », qui émet l’hypothèse que l’interaction et la rétroaction positive entre la diffusion de la réputation et la dissuasion de l’égoïsme permettent aux commérages de s’établir comme une stratégie évolutive stable (ESS). À l’aide de simulations informatiques basées sur des agents, ils construisent ensuite un modèle théorique des jeux intégrant deux fonctions de commérages pour tester cette hypothèse. Une fois établis, ils utilisent en outre des simulations pour tester les voies impliquées dans cette relation causale croissante.
« …nous soutenons que la fonction de diffusion de la réputation des commérages rend les réputations plus accessibles et amène donc davantage de personnes à prendre en compte la réputation des autres lorsqu’elles interagissent avec eux. À mesure que de plus en plus de personnes conditionnent leur comportement à la réputation des autres, de plus en plus de personnes se préoccupent également de leur propre réputation. Ce souci de réputation les pousse à gérer leur réputation en se comportant de manière plus coopérative lorsqu’ils interagissent avec des commérages.
Le modèle intègre deux stratégies de décision pour chaque joueur de jeux de potins : la « coopération » et les « potins ». Cet arbre de décision dicte ensuite les circonstances et le degré de coopération des joueurs selon différents scénarios et sur la base de six types de personnalité, dont les coopérateurs inconditionnels (AC), les transfuges inconditionnels (AD, les joueurs qui utilisent les informations de réputation pour se protéger (CC) et les joueurs qui utilisent les informations de réputation pour exploiter les autres (CD). Les deux dernières catégories sont sensibles aux commérages et soumises à la fonction de dissuasion de l’égoïsme du trait de commérage.
Le système de réputation de l’étude représente sa principale innovation et dicte le processus par lequel les joueurs développent des systèmes de croyance à l’égard de leurs homologues. La conception de leur système de réputation permet aux joueurs de déduire le comportement conditionnel de chacun et d’éviter toute confusion supplémentaire liée aux jugements moraux d’ordre supérieur.
« Avec cette configuration, les agents formulent des hypothèses sur la stratégie sous-jacente de chacun, au lieu de s’évaluer simplement comme étant « bons » ou « mauvais » de manière dichotomique ou sur un spectre unidimensionnel comme dans les modèles précédents. »
Résultats de l’étude
Sur les 5 000 simulations réalisées, une écrasante majorité (90 % ; N = 4 000) ont présenté l’évolution des ragots, ce qui a permis la prévalence et l’établissement éventuel du trait à l’échelle de la population, validant ainsi sa robustesse en tant que stratégie évolutive. Étonnamment, même lorsqu’ils étaient sous-optimaux ou inadaptés, les commérages restaient établis dans les populations à moins que leurs coûts inadaptés ne soient trop élevés.
Les résultats de l’étude ont révélé que la stratégie d’exploitation (GC) était la plus adoptée (57 %) parmi les joueurs. Malgré cela, les taux globaux de coopération au sein de la population sont restés élevés (78 %). Cela est attribué à l’augmentation progressive de la densité des commérages et à la sensibilité à la réputation à l’échelle de la population. L’analyse de la fonction de diffusion de la réputation élucide ces résultats en révélant que les commérages entraînent une accessibilité accrue à la réputation, permettant aux joueurs de faire des prédictions plus précises sur les stratégies de leurs voisins.
«… Les commères évoluent selon un large éventail de choix de paramètres, même si leurs proportions varient en fonction de ces paramètres. En particulier, les commères évoluent davantage si les individus sont dans un réseau social où ils ont beaucoup de connexions stables, s’ils ont des interactions approfondies avec ces connexions sociales, s’ils interagissent fréquemment, s’ils ont des conversations fréquentes entre eux, si leurs croyances sont influencés par les ragots de modérément à fortement, et si l’évolution se fait lentement.
Conclusions
Dans la présente étude, les chercheurs développent une nouvelle hypothèse pour expliquer l’évolution et la persistance des ragots et conçoivent un modèle théorique des jeux et des tests basés sur des agents pour simuler la validité de l’hypothèse. Leurs résultats suggèrent que les commérages évoluent à partir de l’interaction croissante de rétroactions positives entre la diffusion de la réputation et la dissuasion de l’égoïsme. Leurs simulations mettent en évidence la robustesse du trait et sa persistance une fois que le trait a émergé au sein d’une population.
Des cadres de modélisation similaires appliqués à d’autres aspects de l’interaction humaine peuvent aider à élucider la prévalence de comportements que nous considérons comme routiniers, mais qui ont de profondes implications sur l’évolution et la survie.